Eric SURAUD
UT3 – IUF - Physique
« La physique peut-elle limiter les promesses des Intelligences Artificielles? »
Professeur émérite à l’université Paul Sabatier E. Suraud est physicien théoricien. Après une dizaine d’années passées en physiquenucléaire il s’est tourné vers la physique des agrégats, grosses molécules de taille nanométrique aux nombreuses applications. Ses recherches portent sur la réponse de ces molécules aux irradiations, par exemple par un laser ou dans un contexte biologique. Il a développé des méthodes quantiques originales pour les situations fortement hors équilibre qui apparaissent lors des phénomènes d’irradiation. Ces recherches dépassent le simple cadre de cette physique, le problème de la description de la dynamique hors équilibre des systèmes complexes demeurant dans une large mesure ouvert au niveau microscopique. E. Suraud s’est également fortement investi dans l’administration de la recherche (ministère, CNRS, ANR). Il est membre de plusieurs académies en Europe et Fellow de l’American Physical Society.
Les liens entre calcul et physique sont anciens, voire fondateurs. L'arrivée massive de l'Intelligence Artificielle (IA) dans tous les domaines de la science voire de la vie courante, va sans aucun doute avoir un impact majeur, sur notre capacité de découverte, notamment en physique. On peut dès lors se demander si nous ne finirons pas par atteindre, à terme, une compréhension complète du monde, fondée sur la stricte rationalité des calculs. Ce serait faire fi de limites majeures imposées par la nature (et donc la physique en tant qu'outil de description de la nature) aux capacités des IA. Outre les aspects strictement techniques les IA ne pourront contourner les limites imposées par le chaos et par l'existence du hasard. Il est essentiel pour tout un chacun de réaliser ces limites intrinsèques imposées par la nature aux réputées omnipotentes IA.
Aurore AVARGUÈS-WEBER
Centre de Recherches sur la Cognition Animale (CNRS, UT3) – Ethologie
« L'intelligence des abeilles : révolution et perspectives »
Normalienne, Agrégée, Directrice de recherche CNRS en éthologie cognitive au Centre de Recherche sur la Cognition Animale à
l’université Paul Sabatier de Toulouse, Aurore Avarguès-Weber est spécialisée dans l’étude des capacités cognitives des abeilles.
Titulaire en 2019 d’une médaille de bronze du CNRS et en 2015 du prestigieux prix international ‘Rising Talent’ de la fondation ‘Women in Science’ (L’Oréal/UNESCO), elle a contribué à révéler les capacités d’abstraction étonnantes des abeilles pour appréhender des concepts spatiaux ou mathématiques ou encore décoder les informations fournies par leurs congénères. En parallèle de ses recherches, A. Avarguès-Weber s’investit particulièrement dans la médiation scientifique et la promotion de l’éthologie.
Les abeilles sont des animaux fascinants. Elles sont connues pour leur intelligence collective : communication symbolique, organisation du travail, construction optimale… mais difficile d’imaginer que chaque ouvrière de la ruche soit elle-même douée d’une forme élaborée d’intelligence, et ce, malgré un cerveau minuscule et une durée de vie de quelques semaines uniquement. Or, les abeilles s'avèrent bel et bien capables non seulement d’apprendre mais aussi de compter, de classer des objets, de reconnaître des visages humains, de juger de leurs propres capacités de réussite face à un exercice difficile ou encore d’éprouver une certaine forme d’émotion, entre autres exemples de découvertes récentes. Ces preuves de capacités de raisonnement remettent en cause le dogme du caractère inné et réflexe des comportements des insectes ainsi que le lien direct entre intelligence et taille du cerveau. Lors de cette conférence, je vous présenterais quelques-unes des capacités étonnantes de ces insectes pollinisateurs, tout en décrivant les méthodes d'études permettant d'entrouvrir le voile sur l'intelligence des abeilles et discuterai de l'impact scientifique, philosophique et écologique de ces découvertes.
Olivier GUERRIER
UT2J – IUF - Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse - Littérature
« “Whether Dogs could make syllogisms” : Plutarque, Montaigne, La Fontaine, l’intelligence et le logos endiathetos des bêtes »
Olivier Guerrier est Professeur en Littérature et Langue françaises de la Renaissance à l'UT2J, membre de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, et Président honoraire de la Société Internationale des Amis de Montaigne. Il a notamment publié deux ouvrages sur Montaigne (Classiques Garnier, Paris). Il s'intéresse également à La Boétie, Rabelais, et plus globalement à la prose littéraire française du XVIe siècle, mais aussi à la réception européenne de l'œuvre de Plutarque, sur laquelle portait son mandat Junior (2006-2011) à l'Institut Universitaire de France, et qui a donné en particulier Visages singuliers du Plutarque humaniste - Autour d’Amyot et de la réception des Moralia et des Vies à la Renaissance (Les Belles Lettres, 2023 - Prix Monseigneur Marcel de l'Académie française 2024). Dans le cadre enfin de son mandat Senior à l'IUF, en cours depuis 2023, il s'intéresse à la "Reconnaissance" dans les Lettres françaises, du point de vue de la poétique et de la réception.
A partir de la question présente dans le titre autour du cas précis et de loin venu du « chien de Chrysippe », question posée en mars 1615 à l’Université de Cambridge, on entend revisiter, exemples « éthologiques » à l’appui, la tradition qui, à partir d’Aristote et en passant dans l’Antiquité par Plutarque et Porphyre notamment, nourrit le veine pré-moderne, de Montaigne à La Fontaine voire au-delà, sur l’intelligence des bêtes, laquelle chemine parallèlement à celle, alimentée par le Christianisme et ressaisie par Descartes, plus orthodoxe et « spéciste ».
Philippe BERTHET
Institut de Mathématiques de Toulouse, Université de Toulouse, CNRS - Mathématiques
« L’intersciences, ou la croisée des intelligences : comment unir la puissance de l’abstraction et la plasticité du sens ? »
Docteur en Mathématiques de l'Université Paris VI (Pierre et Marie Curie), Philippe Berthet a enseigné à l'Université Rennes 1 puis à l'Université Toulouse III (Paul Sabatier). Il a dirigé le Département de Mathématiques de la Faculté des Sciences et d'Ingénierie de 2011 à 2015, porté les mentions de Mathématique de Licence et de Master, été responsable de cinq Masters de mathématiques, encadré une soixantaine de mémoires de master et une dizaine de thèses. Ses recherches portent sur les lois fondamentales du hasard liées aux processus empiriques et browniens. Il développe actuellement une théorie de l'information auxiliaire. Il a fondé le groupe de Statistique Mathématique à la Société Française de Statistique. Il est co-porteur du projet ENS-TO (Ecole Normale Supérieure de Toulouse Occitanie), dédiée à l'intersciences.
Intelligence, rationalité, adaptabilité sont pour l'homme question d'échelle. A l'échelle de la toile, l'espace se rétrécit et le temps s'accélère : oubliés le lent souffle des grandes découvertes, les lumières humanistes, mais pas l'illusion d'abondance (accéder à tout, instantanément). A l'échelle sociétale, des voix obscures couvrent celle de la science, d'autres la tiennent pour coupable ou lui réclament des réponses rapides. A l'échelle académique, la malédiction de Babel frappe la tour des savoirs : devenus experts, les scientifiques ne se comprennent plus, chacun approfondit ses inintelligibles questions. L'édifice se cloisonne, sa production s'hypertrophie : est-il encore adapté aux enjeux ? Comme chez les fourmis quand le déluge gronde, la réserve, ici intellectuelle, doit opérer sa transformation. Comment refaire science commune, communicable, actionnable ? Quel langage pour penser aux intersciences? Interrogeons l'activité intellectuelle elle-même. D'un côté, l'abstraction et la logique sont efficaces pour penser l'homogène de l'inerte, structurer, agir, créer les machines ; de l'autre, la plasticité du sens et l'interprétation sont nécessaires pour penser l'hétérogène du vivant, des humanités, des sociétés. Comment articuler ces deux modes de pensée, d'investigation du vrai, du réel ? En évoquant le cœur du premier mode, le langage mathématique, où le sens est réduit à la définition, où la logique corrige l'intuition motrice, où la formulation finale efface le processus de création, nous tenterons de nous rapprocher du second mode, peut-être pas si éloigné en ses mécanismes profonds.