Interventions du 3 mars 2025

Corinne Bonnet

Scuola normale superiore de Pise – Histoire antique

« De l'intelligence de Zeus à l'ignorance de Job : réflexions historiques sur la pensée religieuse antique »

 

Corinne Bonnet enseigne l'Histoire des religions du monde méditerranéen antique à l'Ecole Normale de Pise depuis 2024, après avoir enseigné l'Histoire ancienne à l'université Toulouse - Jean Jaurès. Elle a été membre senior de l'IUF de 2010 à 2015 et a, de 2017 à 2023, dirigé le projet ERC Advanced Grant "Mapping Ancient Polytheisms" qui s'est attelé à cartographier les polythéismes anciens et le monothéisme hébraïque en utilisant comme trace de leur implantation et rayonnement les noms divins.

 

Les conditions de possibilité de la connaissance humaine du divin sont, dans l’Antiquité, objet de multiples traditions. Si Prométhée, tentant de tromper Zeus, parvient à orienter la pratique du sacrifice en faveur des hommes, il est néanmoins puni à travers la création de Pandora, emblème d’une condition mortelle pénible. Quant à Job, il oriente la réflexion vers la distance ontologique qui sépare l’intelligence humaine du vouloir insondable de Dieu. À mi-chemin, en quelque sorte, se situe la mètis, chère à Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne, l’intelligence rusée, pratique, faite d’expédients, qui caractérise en particulier l’action d’Athéna à la guerre comme dans l’artisanat ou dans la navigation. On explorera, à travers ces différentes facettes de l’intelligence différenciée des hommes et des dieux, quelques aspects de la relation entre intelligence et ordre, en grec kosmos.

 

 

Aline Wiame

UT2J – IUF – Philosophie

« L’anti-intellectualisme de William James et Marcel Proust, une arme du siècle dernier pour affronter l’époque contemporaine ? »

 

Docteur en philosophie de l’Université Libre de Bruxelles, Aline Wiame est maîtresse de conférences en arts et philosophie à l’Université Toulouse – Jean Jaurès et membre junior de l’Institut Universitaire de France (chaire de médiation scientifique, promotion 2023). Ses recherches, menées en collaboration avec des artistes, visent à élaborer une esthétique de résistance à la sidération face aux catastrophes écologiques en cours et à venir. Elle publie régulièrement des articles en français et en anglais articulant philosophies française et américaine, arts et écologie. Elle est l’autrice de deux monographies : Scènes de la défiguration. Quatre propositions entre théâtre et philosophie (les presses du réel, 2016) et Revenir d’entre les morts. Deleuze et la croyance en ce monde au cinéma et dans les séries (les presses du réel, 2024).

 

Le psychologue et philosophe américain William James (1842-1910) fut l’un des premiers à développer une critique féroce de l’intellectualisme. Pour James, la pensée est irréductible à l’évidence intellectuelle : l’intelligence ne se suffit pas à elle-même et doit vitalement être articulée à des buts pratiques qui œuvrent au façonnement du monde encore en devenir. Dans cette communication, je me propose de faire dialoguer la philosophie de James avec l’écriture proustienne, la Recherche du temps perdu affirmant fermement que l’intelligence ne vaut que si elle reprise par l’art pour fournir une expérience riche et complète. Cette double prise sur l’anti-intellectualisme permettra de poser deux séries de questions : 1) que nous fait faire l’anti-intellectualisme au niveau de la réinvention de nos modes de pensée et d’écriture ? ; 2) une conceptualisation robuste de l’anti-intellectualisme du début du 20e siècle permet-elle de résister à « l’anti-intellectualisme », cette fois compris comme attaque des universitaires, qui caractérise les régimes autoritaires contemporains ?   

 

 

Christian Joachim

Pico-Lab CEMES-CNRS, Physique

Académie des Sciences Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse

« Une molécule à calculer complexe pourra-t-elle un jour penser ? »

 

Docteur en techniques informatiques de Sup’Aèro, Docteur en Physique Quantique de l’Université Paul Sabatier, Christian Joachim est Directeur de Recherche Émérite au CNRS, Professeur chargé de cours en Physique & Ingénierie Quantique à l’ISAE-Sup‘Aero. Ses recherches successivement à Sup'Aèro, au CNRS à Jussieu Paris VI, à IBM T.J. Watson Research Center de New York, au CEMES-CNRS Toulouse, à A*STAR Singapore et au MANA-NIMS de Tsukuba visent à contrôler les réponses quantiques d’une seule molécule pour y incarner un petit calculateur ou construire une machine mécanique. Il développe des technologies d’interconnexion et de communication avec une seule d’entre-elles d'une précision picomètrique. Il a reçu la médaille d’Argent du CNRS, l'étoile de l'Europe et 2 fois le Prix Feynman. Auteur de plus de 300 publications scientifiques, il a organisé récemment les compétitions internationales « Nanocar Race ».

 

Comment générer de l'entendement dans une machine ? Neurones : le triptyque nombre + enchevêtrement + thermodynamique produit de l’intention et de la créativité. Notre ami le poulpe en a peut-être conscience mais pas nos machines à calculer non vivantes. La Pascaline, l’ENIAC, l’IntelCore-i6, la Nvidia GB300 ou l’IBM Osprey à 433 qubits ne pensent toujours pas même équipées de gigantesques mémoires ultra-rapides. Il sera donc question ici d’intelligence pratique pour observer, mesurer et comprendre les phénomènes physiques nécessaires pour essayer d’incarner de l’entendement. En parallèle, l’intelligence théorique mathématise pour créer des représentations formelles et concevoir par exemple dans un espace dual, une machine complexe à calculer. A la structure nécessairement complexe par son nombre d’atomes, une seule molécule peut-elle se mettre toute seule au moins à inférer dans son espace d’états quantiques intriqués ? Ce serait l’Electronique Moléculaire prophétisée en 1968 par R. Barjavel dans son roman « La nuit des Temps ».

 

Pierre Brousset

CHU de Toulouse - IUF - Académie nationale de Médecine

« L’intelligence artificielle dans l’aide au diagnostic anatomopathologie en cancérologie »

 

Depuis une dizaine d’années, des développements importants issus des sciences « computationnellles » sont venus bousculer la pratique médicale. Notamment, grâce à l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs (calcul de haute performance ou HPC), les images macroscopiques (radiologiques) et microscopiques (anatomo-pathologiques) peuvent faire l’objet d’une reconnaissance automatique et rapide par des algorithmes entrainés (apprentissage machine ou machine learning). Cette perspective soulève de très nombreuses questions sur la pratique médicale elle-même, quant à la fiabilité de prédiction (accuracy), « l’explicabilité » des décisions prises par les algorithmes, la responsabilité du praticien et du fournisseur d’algorithme, l’impact du déploiement de ces solutions sur la formation et l’enseignement des médecins. On peut y rajouter des questions sur la gestion des données qui sont pour la plupart massives, dont le traitement et le stockage sont écologiquement couteux.  Au cours de ce séminaire, je partagerai mon expérience de médecin pathologiste qui essaie de comprendre ces nouvelles technologies pour le pas les subir mais se les approprier.  Si les algorithmes ne sont pas encore en mesure de remplacer les médecins, ils peuvent d’ores et déjà les assister dans leur pratique.  Une conclusion s’impose : la pratique médicale est devenue étroitement dépendante des sciences de l’ingénieur et les progrès combinés de l’informatique et de la robotique vont encore accentuer cette dépendance.  Il semble bien que nous allions vers une pratique médicale progressivement déshumanisée mais en contrepartie plus fiable.  

 

Franck Cochoy

UT2J – IUF – Sociologie

"De la nécessité d'un anti-luddisme après l'anti-racisme et l'anti-spécisme : pour un accueil raisonné de l'intelligence des machines en démocratie."

 

Franck Cochoy est professeur de sociologie à l’université Toulouse Jean Jaurès, chercheur au LISST-CNRS et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Ses recherches relèvent de la sociologie économique et de la sociologie des techniques. Il travaille actuellement sur l’histoire des fournitures jetables dans le secteur hospitalier. Il est l’auteur de nombreux livres et articles. Ses publications les plus récentes ont paru dans Mobilities, Minerva, Science and Technology Studies, Techniques et Culture, etc.

 

Aujourd'hui, nombre de critiques de l'intelligence artificielle s'énoncent au nom d'une radicale différence et supériorité de l'intelligence humaine. Ces critiques rappellent la façon dont l'homme blanc évoquait sa soi-disant supériorité cognitive vis-à-vis des personnes appartenant à d'autres "races" (ou à l'autre sexe !), ou jusqu'à très récemment la radicale dissemblance entre cognition humaine et cognition animale. Par chance, les thèses racistes ou sexistes ont complètement échoué, et mille travaux contemporains montrent que les thèses spécistes sont tout aussi fautives. Rappeler ces précédents devrait en toute logique nous aider à ne pas tomber dans le même travers vis-à-vis de l'intelligence des machines, et ainsi à poser sur d'autres bases, moins anthropo-centrées, la question de l'accueil de l'intelligence machinique en démocratie.

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